OVNI: pas d’effets spécieux
OVNI d’Ivan Viripaev, mis en scène par Olivier Maurin au Théâtre de l’Élysée (Lyon), 6-15 octobre 2020.
Par Jérémie Majorel
Olivier Maurin lui-même monte sur scène pour lire au public cette lettre : « Bonjour. Je m’appelle Ivan Viripaev, je suis l’auteur de la pièce que vous avez l’intention de créer dans votre théâtre. J’adresse cette lettre à l’équipe de création : au metteur en scène, aux comédiens, au décorateur et à tous ceux qui vont travailler sur ma pièce. Je voudrais vous raconter comment cette pièce a vu le jour. » (Traduction Tania Moguilevskaia & Gilles Morel) Le dramaturge russe commence par naviguer sur internet à la recherche de personnes qui auraient rencontré des extraterrestres. Face au foisonnement des résultats, il sélectionne les moins insensées en apparence, dispersées aux quatre coins du monde, de l’Australie aux États-Unis. Un oligarque a la gentillesse de financer ce qui doit être un film réalisé à partir des entretiens que Viripaev part enregistrer chez chacune d’elles. Mais à son retour, aucun producteur n’apporte le supplément nécessaire. Il se rabat alors sur le théâtre et en tire une pièce faite de la succession épurée de neuf témoignages : « à vrai dire, ce n’est pas du tout important de savoir si ces personnes ont ou n’ont pas rencontré des extraterrestres ou s’il s’agit d’une invention de leur part. Ce n’est pas important. Parce ce que ce qui est important, à vrai dire, c’est le fait qu’un individu qui vit sur la planète Terre, accepte de partager avec d’autres personnes ses visions de la vie les plus intimes. »
Le spectacle semble alors vraiment pouvoir débuter. Chaque acteur, attendant aux côtés des spectateurs, vient s’asseoir sur scène quand c’est à son tour de parler. Le public est potentiellement inclus dans ce tour de parole d’anonymes qui racontent leurs chemins de Damas, l’événement qui les a mis en contact avec une chose vraiment signifiante, ce qui enfin a donné un sens à leur vie d’adepte du yoga, de coach en business, de chauffeur-livreur, de manager, de haut cadre de Mitsubishi, d’un groupe pétrolier ou d’une ONG… À écouter chacun retisser patiemment le fil de son histoire, tâtonner pour mieux ajuster ses mots à « ça » qui n’est pas racontable, on se dit qu’on touche de près aux cliniques du sujet néolibéral…
Mais Olivier Maurin ne force pas ce trait plus qu’un autre. Sa mise en scène est la plus délicate, nuancée et subtile qui soit. Après Illusions du même Viripaev et le Dom Juan de Molière, ce spectacle forme une trilogie de la croyance, du pharmakon de la fiction, remède et poison de l’âme humaine. Les comédiens de la compagnie Ostinato ‒ Clémentine Allain, Fanny Chiressi, Arthur Fourcade, Éloïse Hallauer, Mickaël Pinelli et Arthur Vandepoel ‒ retrouvent une partition à leur mesure, surtout lorsqu’il s’agit d’interpréter, au sens musical, deux personnages parfois totalement différents. Pas d’autres effets spéciaux que leurs corps, leurs visages et leurs voix. Pas d’autres objets qu’une chaise, une table de nuit, une lampe en forme de soucoupe, des verres d’eau tous différents ‒ peut-être les mêmes qui servent à la tablée d’Illusions ‒ et un rectangle de tissu blanc qui obture le fond de scène ‒ peut-être le même derrière lequel Dom Juan s’engouffre.
La fin ménage un vertige pirandellien dont Viripaev a le secret. Chez lui, d’ailleurs, les personnages sont moins en quête d’auteur que de spectateur… Dans un suspens de quelques secondes, avant le noir final, seul demeure le sentiment d’une fragile et minuscule communauté esquissée le temps d’un regard. Le contact avec ce théâtre-là, qui ouvre l’écoute et les imaginaires, oui, est plus que jamais nécessaire.